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L'OJAM, un procès pour rien

L'OJAM, un procès pour rien

La Martinique, île française, a connu durant les années 60, tout comme l'île de la Guadeloupe, une montée des revendications autonomistes prônant la restitution de la Martinique aux martiniquais.

 

Le contexte

Ces années soixante sont marquées par les "Trente Glorieuses", une période de forte croissance mondiale. Elles se caractérisent par l'essor de l'économie des pays riches, la production de masse, un chômage bas, des prix bas, donc, et l'apparition d'une nouvelle classe de gens moyennement fortunés, la classe moyenne. Au retour de la stagnation, la fin de ces Trente Glorieuses sera suivie d'un fort chômage dans les pays développés.

Mais tandis que dans ces pays la prospérité s'installe, aux Antilles le chômage est grandissant, surtout depuis la fermeture des usines sucrières. Aussi, voit-on naître en Martinique les mêmes courants idéologiques qu'en Guadeloupe et à la Réunion.

L'Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste de la Martinique passe à l'offensive sur fond de tension. On peut lire qu'en 1961 :
«Les bourgeoisies locales, notamment les békés, en refusant les augmentations de salaire braquent la population contre elles. Les tentatives de médiations préfectorales ont échoué, notamment celles des 7, 9 et 13 mars. Systématiquement les planteurs refusent l’augmentation des salaires, conduisant à une mobilisation de 80 % des ouvriers. Face au PCM, les autres formations politiques font silence. Le courrier d’Aimé Césaire, jusqu’alors très discret, suscite l’inquiétude du préfet, car il est un leader d’opinion. L’opinion, jusqu’alors dans « l’attentisme » pourrait basculer du côté des mécontents. Seuls les anciens combattants et les fonctionnaires ont affiché une position ouvertement française. Le Préfet en appelle alors à l’action gouvernementale. Selon lui, la loi-programme de 1960, « présentée comme la panacée », n’est pas suffisamment appliquée d’autant plus que les difficultés économiques de la canne et de la banane persistent. L’essentiel est de régler au plus vite la question des allocations familiales. Au bilan, il faut que le gouvernement tienne ses promesses. Si le rapport ne redoute pas une « action de type insurrectionnel (…) ce qui est à craindre, c’est une série de conflits sociaux paralysant la vie économique et entraînant de graves troubles de l’ordre public.
En août 1961, le Préfet dans son rapport mensuel note que « le moment est propice pour donner une orientation forte et dynamique à la politique gouvernementale à la Martinique dans tous les domaines ». Il convient d’affirmer le statut départemental pour pousser les attentistes vers la France ; de mener des actions de police individuelles et collectives (l’ordonnance de 1960 est appliquée contre quelques militants communistes, notamment Armand Nicolas et un décret de dissolution du PCM est rédigé) ; d’impulser une politique économique forte avec des mesures symboliques à prendre qui dépassent les aides financières classiques (il propose le rachat de 1500 à 2000 ha pour lancer la réforme foncière, et suggère de s’inspirer du plan de Constantine sur le plan industriel) ; et demande l’égalité sociale à l’horizon 1965. Il ne sera pas systématiquement suivi par Paris. En décembre 1961, il commente la visite du Secrétaire d’État à l’outre-mer Jean de Broglie (5-8 décembre 1961), et rappelle les mesures urgentes à prendre dans le secteur de la banane notamment [...] sous peine de voir un nouveau secteur s’effondrer. [...] L’attentisme du pouvoir central est compris comme un véritable risque. l’État joue sur le volet de la concession de plus d’aides sociales, jouant un rôle de médiateur face aux bourgeoisies locales. Il recherche les équilibres, « au coup par coup ».»

Source : https://journals.openedition.org/etudescaribeennes/4881?lang=en#tocto1n3

Inscriptions sur un mur, après les fusillades de décembre 59 (https://bit.ly/2lz9bvM)

Inscriptions sur un mur, après les fusillades de décembre 59 (https://bit.ly/2lz9bvM)

Les faits

Qu'est-ce que l'OJAM? Les dix-huit jeunes qui en sont à l'origine sont Rodolphe Désiré, Renaud de Grandmaison, Henri Pied, Hervé Florent, Marc Pulvar, Joseph “Kokho” René-Corail, Léon Sainte-Rose, Charles Davidas, Roger Riam, Victor Lessort, Gesner Mencé, Henri Armougon, Manfred Lamotte, Guy Dufond, Guy Anglionin, Georges Aliker, Josiane Saint-Louis-Augustin et Roland Lordinot. Remarquons la présence Georges Aliker parmi les fondateurs de ce mouvement.2 Ils ont entre 19 et 30 ans.

Le journal Témoignages précise qu'en "1959, les forces de répression tirent sur des manifestants en Martinique : trois morts et des dizaines de blessés. L’émotion est considérable, l’exaspération monte. Elle ne cessera de se maintenir à un haut niveau pendant plusieurs années. Les jeunes s’organisent au-delà des partis politiques. Le mouvement relie ceux qui sont restés au pays et les étudiants partis dans l’émigration. Ils fondent le Front antillo-guyanais pour l’autonomie, qui est dissous par le pouvoir.
Plusieurs anciens de ce mouvement fondent alors l’OJAM, Organisation de la jeunesse anticolonialiste martiniquaise, le 30 septembre 1962.
" 1

Les  conflits sociaux alimentent cette prise de conscience. Une affiche, toute simple, prônant textuellement "la Martinique aux martiniquais" avait été affichée dans la nuit du 23 au 24 décembre 1962. Cette inscription, placardée sur l'ensemble du territoire, sur les bâtiments publics, leur vaudrait quelques temps plus tard, un passage en procès pour atteinte à la sureté de l'État. En effet le Témoignage affirme :

"Quelques semaines plus tard, la répression s’est abattue sur eux. Parce qu’ils revendiquaient l’autonomie de la Martinique, ils ont été inculpés d’atteinte à l’intégrité du territoire et déférés à la Cour de sûreté de l’État. 13 ont été jetés en prison. Ils sont transférés par avion spécial en pleine nuit vers la France et retenus prisonniers à la Santé. Un est libéré. Il reste 12 jeunes incarcérés à la prison de Fresnes, qui dépendent du régime politique, appliqué auparavant aux militants du FLN.
4 obtiennent une liberté provisoire et repartent en Martinique en juillet 1963. Le procès se tient en octobre 1963. L’accusation d’atteinte à l’intégrité de l’État tombe, car l’autonomie n’entre pas en contradiction avec la Constitution, et notamment ses articles 72 et 73 qui concernent le statut des DOM.
" 1

Ce procès soulève de nombreux problèmes, comme le droit de revendiquer l'autonomie... "Le procès de l’OJAM sonne le glas de cette organisation née de la nécessité pour les jeunes politisés de cette époque de porter des réponses au malaise de la société d’alors : mal-développement, chômage massif, oisiveté des jeunes, manque de débouchés professionnels, absence de perspectives, déni de notre personnalité collective." (Martinique La 1ère) 2

Leur "Manifeste de la Jeunesse de la Martinique" commence ainsi...  : Aujourd'hui L'ORGANISATION de la JEUNESSE ANTICOLONIALISTE de la MARTINIQUE déclare : Que la Martinique est une Colonie, sous le masque hypocrite de département français, comme l'était l'Algérie, parce que dominée par la France, sur le plan économique, social, culturel et politique. Ce qui se traduit par :

LA DÉPENDANCE ÉCONOMIQUE

-Une économie de production uniquement agricole, à caractère féodal

-La prépondérance d'une minorité béké, liée au colonialisme français, monopolisant la terre, les usines, le commerce et les banques

-Un déficit permanent de la balance commerciale

-L'exportation des capitaux vers l'étranger

-Les richesses naturelles inexplorées ou irrationnellement exploitées

-L'implantation de sociétés françaises.

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Notes

1 Voir : https://bit.ly/2kiOILH
2 Voir : https://bit.ly/2ktWTES